Cette édition 2018 du doyen des salons de l’automobile de collection est l’occasion de faire le point sur le marché, avec comme juge de paix les transactions affichées lors des ventes publiques. Notre regard s’est porté sur la vente Artcurial parce qu’elle est à nouveau représentative du marché et du savoir-faire d’un acteur français majeur, même s’il y avait de très beaux modèles chez les deux concurrents anglo-saxons. Les résultats sont encourageants : 86% de lots vendus dont 40% au-dessus de l’estimation basse, après des années 2016-1017 en demi-teinte faute à une inflation des catalogues et aux disparités importantes dans la qualité du matériel présenté.
Monstres sacrés : le million par le haut ou par le bas.
Atteindre le seuil du million d’euro en collection c’est un peu comme le passage du Mach en aviation : la zone est turbulente et il faut savoir tenir le manche ! Avec une production comparable à la Mercedes-Benz 300 SL « Gullwing » on serait tenté de dire que la Ferrari F40 (1311 ex.), est aussi rare. C’est oublier un détail important : contrairement à la 300 SL (1400 ex.), les F40 n’ont jamais été utilisées. Le taux de survie doit avoisiner les 99% car cette auto a été voulue par Ferrari comme une auto de collection neuve. On peut donc comprendre que le seuil du million est encore un peu fragile pour celle qui célébrait les 40 ans du cheval cabré en grande pompe, face à une étoile galvanisée à l’aune des circuits automobiles depuis près d’un siècle.
Si la Ferrari F40 a dépassé ce seuil symbolique en 2013-2014, voici qu’elle y revient…par le haut. Comprenez par-là que la tendance est à la descente, avec des ventes actuellement à -25% par rapport à ce récent maximum historique. Est-ce une bonne affaire ? Celle proposée par Artcurial à Rétromobile est partie à 953 600 € (taxes incluses), un montant que l’on n’avait pas vu depuis quelques temps. En 2015 et 2016, plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été retirées faute d’atteindre le prix de réserve millionnaire.
La Mercedes 300 SL est une auto que l’on trouvait par douzaine il y a encore 5 ans dans les allées de Rétromobile, à une époque où de nombreux exemplaires fraichement restaurés arrivaient sur le marché. Les prix s’étant depuis tassés, elle se fait plus discrète en vente publique. Cet exemplaire américain présenté par Artcurial a été restauré en Allemagne au début des années 2000. Revendu en 2003 par le spécialiste allemand Kienle, le descriptif nous indique qu’elle n’a parcourut que 400 km depuis 2003.
A 1 158 270 €, elle est dans la fourchette actuelle mais il faut se souvenir qu’en 2013 un exemplaire vendu aux USA avait atteint les 2 Millions de Dollars (certes, elle avait été achetée neuve par Clark Gable !) et d’autres s’approchaient de 1.5 M €. De façon réaliste la 300 SL reste un modèle rare et absolument unique dans l’histoire de Mercedes. Même temporairement dévaluée, c’est une bonne valeur.
Déesses pour baby-boomers : valeurs sures, mais pas que…
Pour sortir des sentiers battus, nous ne vous parlerons ici que « d’une DS » mais pas de 911, ni de Mustang ni d’Austin Healey – qui ont d’ailleurs tendance à être moins présentes en vente. Voici donc, outre l’incontournable Citroën DS, deux curiosités pas encore surévaluées.
La Citroën DS 23 ie d’origine italienne vendue 53 640 € démontre s’il fallait encore s’en convaincre, qu’il y a un fort marché pour de très belles DS dans la zone des 40-50 000 €. D’autant plus quand il s’agit d’une auto optionée (cuir, clim, TO…les 3 sont rares sur une DS) et avec un kilométrage d’origine vérifiable (112 000 km). C’est le plafond actuel pour les DS et cela le restera sans doute, sauf pour des exemplaires exceptionnels (et hors cabriolet). Un budget qui permet aisément en repartant d’une auto fatiguée de faire une belle restauration aujourd’hui. Le réservoir étant sans fin, les perspectives d’évolution de la cote au-dessus du prix de revient économique d’une restauration sont faibles. Il y en avait 8 autres à vendre chez Artcurial dont 7 qui ne sont pas parties (plusieurs Cabriolet et Chapron, faute à des prix très élevés).
La Maserati Mistral 3.7 de 1965, relève d’une logique est bien différente. La production limitée (955 ex.) rend la voiture rare et les bases de restauration ne courent pas les rues, pas plus que les pièces spécifiques. Cet exemplaire était attachant car l’odeur du cuir Conolly ancien était bien présente, et il est resté fonctionnel et dans la même famille longtemps. A 172 840 € c’est un prix qui reste bien correct si l’on compare à certaines Jaguar Type E 3.8 (concurrente de l’époque), bien moins rares (15 498 ex. pour la plus désirable série 1 en 3.8, ce modèle dont Jaguar Land Rover a bien saisi l’intérêt financier et refabrique désormais les pièces de tôlerie à neuf quand ce ne sont pas des voitures neuves avec de nouveaux chassis…).
L’Alfa Romeo Giulia GTC est une curiosité historique dans la famille des Giulia. Voiture d’intérim, elle a été produite en peu 1002 exemplaires de 1964 à 1966 en attendant l’arrivée du fameux Spider Duetto. Longtemps boudée et remisée au fond des granges, le décollage depuis une dizaine d’année de la cote des coupés Bertone a entrainé dans son sillage les versions moins connues. Vendue 79 864 €, cet exemplaire vendu neuf en France et dans un état correct mais non restauré, montre qu’il existe des amateurs éclairés pour des autos hors sentiers battus.
La Lamborghini Espada, dont 3 exemplaires -série 1,2 et 3 -étaient présentés chez Artcurial fait partie de ces « mal-aimées » que le marché redécouvre compte-tenu de l’envolée de leurs sœurs à deux places. Pénible à vendre il y a une dizaine d’année (20 000 €, soit le prix d’une grosse révision pour son V12 à 6 carburateurs), elle a vu son prix multiplié par 5 pour dépasser régulièrement les 100 000 € pour peu qu’elle soit réellement fonctionnelle et de belle présentation. L’exemplaire de série 1 orange, le plus beau des trois s’est envolé à 169 264 €, tandis que la série 2 d’une couleur verte peu appréciée et la lourde série 3 avec ses parechocs américains ont été adjugées respectivement 77 000 € et 73 000 €, des petits prix pour un grand chef d’œuvre du design de Marcello Gandini et l’une des plus belles motorisations de l’histoire automobile.
Belles carrosseries d’avant-guerre : la prime au vécu et à l’origine.
Trois exemples, trois états bien différents pour 3 marques de luxe d’avant-guerre. La Horsch 853 Sport Cabriolet avec son passé intéressant (cf. notre article) est présentée dans un état d’origine très convainquant avec les blessures de l’Histoire qui mettent en valeur sa qualité de construction. Elle se vend à un prix finalement élevé pour une voiture dont l’état pourrait faire peur au commun des collectionneurs. Mais c’est aussi le charme de l’état d’origine qui devient, avec les années qui passent, plus difficile à dénicher. A noter que le même modèle restauré à neuf présenté au Grand Palais par Bonhams n’a pas trouvé acquéreur, pourtant estimé a minima à 600 000 €.
La Bugatti 57 Galibier est une auto qui a été utilisée longtemps dans la même famille et a connu une longue période d’arrêt. Son moteur a été refait mais il faut désormais la remettre en route. Sa présentation est également attractive car elle n’est pas neuve, elle sent le vécu au propre comme au figuré et donne furieusement envie de reprendre la route ! Elle se vend en dessous de la cote (plutôt 300 000 €) ce qui est cohérent de son état.
La Voisin est une auto restaurée, bien restaurée dans le sens de l’origine et du détail. Même le tissu des sièges a été refait par une entreprise lyonnaise dans le respect de celui d’époque ! Primée à différents concours et parfaitement fonctionnelles, elle part au double de sa cote habituelle (150 000 €) si tant est qu’une cote ait un sens pour une auto aussi rare !
Young-timers : passez votre chemin !
Après plusieurs tentatives peu fructueuses sur ce type de vente de prestige, les maisons d’enchères sont devenues plus regardantes sur le type de matériel à présenter dès lors qu’il s’agit de young-timers. Cette année, elles étaient donc peu nombreuses, mais de qualité. Comprenez par là des autos presque neuves, comme cette Mercedes 500 SL de 1986 avec 10 100 km d’origine qui est partie à 107 280 €. Est-ce une bonne affaire ? Pas certain. Si c’est pour en faire un daily-driver et lui ajouter 20 000 km / an les 10 prochaines années, oui sans doute. Mais ce ne sera sans doute pas son usage. Et avant que la cote des R107 dépasse les 100 000 € il passera bien de l’eau sous les ponts… et son propriétaire se lassera peut-être de ne pas s’en servir.
Pour trouver quelques young-timers abordables, il fallait monter au hall 3 dans lequel des autos à moins de 25 000 € étaient proposées à la vente, principalement par des marchands spécialisés. Le problème pour l’acheteur éventuel reste l’achat sans l’essai. Une seule anecdote issue d’une conversation avec un professionnel qui présentait une belle Jaguar V12 fraîchement importée des USA : « Et pour la mettre en plaque française c’est simple ? » - « Oui, oui aucun problème, on vous la livrera en plaques belges et vous aurez automatiquement droit à une plaque française… ». Hum… en théorie, oui. Dans la pratique l’auto en question n’avait pas 30 ans et n’était pas d’un type homologué en Europe. Donc réception individuelle à la DREAL et modifications nécessaires (optiques, supports de plaques, répétiteurs…) avant d’obtenir le papier gris. A bon entendeur, salut.
Rétromobile s’affirme encore en 2018 comme une vitrine incontournable pour les très belles autos et donne, sur le haut du marché (voitures à plus de 100 000 €) un regard assez complet des tendances actuelles. Il suffit pour s’en convaincre de compter dans les allées les autos présentes en exemplaires trop nombreux – palme à la Porsche 356 cette année – pour anticiper de 3 ou 4 ans la décrue de certaines valeurs montées trop vite et trop haut.
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Auto Forever (dimanche, 18 février 2018 13:07)
Très étrange cette 500 SL soit disant de 1986 avec des jantes de phase 2 (post salon de Francfort 1985) aisément modifiables mais avec des portières, des rétroviseurs, et un bouclier avant de phase 1 bis (1980-1985). Vu le prix ce n'est pas acceptable (si la voiture de la photo est bien celle qui a été vendue)
Guirao Alexandre (lundi, 19 février 2018 11:48)
C'est en effet le descriptif Artcurial qui mentionne une mise en circulation en 1986. On peut penser à une production 1985 laissée sur stock et immatriculée seulement en 1986. Les jantes ont sans doute été montée plus récemment.
Fontenaille Rod (lundi, 19 février 2018 18:10)
Bonsoir , Je vous ai découvert à travers POA sur le bon reportage Retromobile 2018 .
J'habite dans le Calvados et nous étions une cinquantaine de membres de l'ACO ( pilotes et commissaires ) à nous y rendre le jeudi .
J'étais prêt à investir dans la Porsche 944 Turbo décrite plus haut mais j'avais d'autres priorités reflexions faites .
Par contre je viens de m'offrir une DS 5 ( 180 CV ) et j'en prendrai livraison la semaine prochaine .
J'ai regardé les 3 reportages fai. tà ce sujet sur POA que je trouve très instructifs .
Sincères remerciements pour vos reportages et je vous souhaite de continuer dans cette voie .
Benoit Pellet (mardi, 20 février 2018 17:37)
J'ai achete une voiture avec Artcurial, ce ne sont pas les plus claires dans l'historique des voitures pour ne pas dire autre choses.....
Mon avis toutes les maisons de ventes automobiles ont des combines plus ou moins honnetes pour vendre leurs camelotes.
Benoit
Stephane D (mardi, 20 février 2018 22:21)
Une remarque sur le Connolly de la Mistral: les Maserati anciennes, que l'on roule avec ou non, on toujours cette odeur de cuir typique, cela n'est en rien typique à l'auto présentée. De plus, au vu des travaux à effectuer - à minima 50 à 70K€, voir beaucoup plus selon l'exigence du nouveau propriétaire - cette auto est selon moi partie trop chère sachant qu'un excellent coupé 4.0L, plus désirable que cette 3700 equipée d'antibrouillards hideusement scellés dans la sublime calandre dessinée par Frua, se négocie seulement entre 25 et 30% plus cher, et ce pour les meilleures autos du marchés.
Par ailleurs, je ne partage pas complètement la tonalité positive du début de votre article: "Les résultats sont encourageants : 86% de lots vendus dont 40% au-dessus de l’estimation basse".
Tout est affaire de discernement; s'il est bien un secteur ou la généralisation est un exercice d'équilibriste quasi voué à l'échec, c'est bien celui de la voiture de collection au sens large, ancienne & moderne.
Ainsi, une grande différence est à noter dans la réussite respective des ventes, avec des résultats très poussifs chez Bonhams (aucune auto à 7 chiffres), honorables chez RM Sotheby's, Artcurial sauvant les meubles en l'absence de la 275P. Sans oublier de souligner que de nombreux lots ne sont plus acceptés que s'il n'ont pas de prix de réserve. Mais que de "grosses" autos non vendues...les lots "star" respectifs , ceux à la plus haute estimation pré-vente, sont restés invendus, et ce dans chacune des 3 ventes: ni la Lamborghini Miura P400 S chez Bonhams, ni 250GT Cabriolet Serie 1 chez Artcurial, ni la Ferrari 166 MM Spider chez Sothebys n'ont changé de mains.
Si vous avez raison sur le fait que le meilleur se vendra toujours, là où le médiocre sera lui aussi médiocre dans le prix, force est de constater que les acheteurs, investisseurs ou non, on gardé leur paddle près d'eux, y compris pour le meilleur (hormis quelques resultats suprenants, comme la Mistral) Et c'est peut-etre dans cette catégorie de l'exceptionnel qu'il faut regarder de plus près à l'heure actuelle.
Pascal DeVillers (samedi, 03 mars 2018 10:40)
Bonjour,
Je trouve votre site très intéressant ,que je découvre grâce à POA que je suis très fidèlement.
Passionné depuis mon plus jeune âge de la belle automobile , je voudrais avoir votre conseil.
Je souhaite sauter le pas et m'acheter une voiture plaisir pour un budget de 9000€ à 15000€.
Depuis sa sortie je trouve l'Alfa Roméo coupé BRERA superbement belle (GIUGIARO Design) , fabriquée de 2006 à 2010 à seulement 21000 exemplaires diffusés dans le mon entier dont un peu plus de 2000 en France, c'est delà actuellement une rareté d'en croiser une sur nos routes. Que pensez vous de l'avenir d'un tel modèle qui est pour certains Alfistes une mal aimée à cause de son poids bien qu'en 2006 elle fut élue plus belle voiture de l'année.
Pascal
Guirao Alexandre (mardi, 13 mars 2018 07:40)
Bonjour Pascal,
Merci pour vos questions. Concernant la Brera, c'est une belle réussite en matière de design, une auto assez intègre et proche du concept-car d'origine, même si les dimensions ont été revues pour être construite sur une plateforme de 159. La limite de la Brera c'est aussi cela. Elle n'a pas le mythique V6 Busso, mais un V6 d'origine GM/Holden plus ordinaire, ou finalement un 2.2 JTS qui fait le job si on ne cherche pas la musique... A mon avis c'est une auto qui restera entre deux eaux longtemps, même symptôme que la Montréal en son temps : une promesse de concept-car , dans un package un peu étriqué (sauf que la Montréal avait quand même eu droit à un V8 maison, là où le V8 du concept Brera a été abandonné). Je parierai bien plus sur une GTV/Spider type 916, que ce soit avec le 2.0 TSpark ou le(s) V6, une auto très Pininfarina dont le design n'a pas pris une ride, qui reste très abordable et très Alfa dans l'esprit. Celle-ci est au seuil de la collection, bien plus que la Brera.
Alfistement,
Alexandre
Pascal DeVillers (samedi, 17 mars 2018 17:54)
Bonjour Alexandre,
Je vous remercie pour cette réponse très complète.
Pascal
LIERNEUX André (vendredi, 30 mars 2018 18:53)
Alfiste depuis 1970, date de mes premières 24 heures de Spa avec une GTV2000. Depuis, il y eut au quotidien et dans l'ordre chronologique, un coupé 128 SL 1300, une Alfasud Sprint 1300, une GTV6, deux 75 TwinSpark, une Lancia Delta Integrale Evo2, une GTV Turbo V6, un Coupé Fiat 20V Turbo Edition Limitée, et depuis 2004, une GTV 3.2 24V qui n'a aujourd'hui que 37.000 km puisque je la partage entre une 500 Abarth et une Multipla JTd. Bref, votre proposition de GTV 2000 est intéressante mais je ne la retiens pas eu égard aux souvenirs laissés par le Busso de ma GTV6 et que ma 3.2 entretient encore aujourd'hui. Merci de continuer à m'adresser vos Newsletter. Cordialement, André.
MARC PELLET (dimanche, 16 février 2020 19:54)
Bonsoir,
Néophyte en matière de voitures anciennes ( même si j’ai eu une TR4) mais passionné de voitures je rêve de m’acheter une belle anglaise ( Jaguar XJ6 _.MGA TR3 ou même Austin Healey si j’en trouve une de de pas trop chère.
Avec un budget que je souhaite limiter à 30.000€ j’hésite entre acheter une épave à restaurer ou une voiture en bon état. Quel serait votre conseil?
Cordialement.
Alexandre Guirao Classic Auto Invest (mercredi, 19 février 2020 09:39)
@Marc Pellet : pour des autos dans cette gamme de prix sans hésitation achat en excellent état carrosserie. Vous n'amortirez pas vos frais de restauration sur 30 000 euro.