Le mot est à la mode dans les chroniques loisirs comme dans les articles des revues automobiles. "Youngtimers " : ce vocable marque-t-il un nouveau phénomène ou relève-t-il du néologisme ? Où situer la frontière avec les « Oldtimers », mot inusité chez nous mais dont sont friands nos voisins européens ?
Récemment piqués par la couverture d’un renommé magazine sur laquelle figurait en belle place une Citroën SM (un modèle rappelons-le, présenté au salon de Genève 1970) aux côtés d’une Fiesta Mk3 (1989) et d’une Maserati Biturbo (1981), nous vous proposons de faire un peu de tri parmi toutes ces appellations d’origines non contrôlées !
Youngtimers : délit de jeunisme dans l’automobile ?
Comme pour la fripe fatiguée ou l’Ikea première heure, la voiture d’occasion à la peinture passée devient un must pour le bobo en recherche d’émotions. Et comme en prose, les dizaines de milliers de monsieur Jourdain automobilistes qui roulent encore tous les jours en Renault 11 ou Peugeot 309 ignorent peut-être encore qu’ils ont une pépite sous le guidon ?
Mais au fait, depuis quand existent les « youngtimers » ? La question est apparue à votre serviteur à l’occasion de la restauration d’un coupé Alfa Romeo Bertone acquis en 1999 et utilisé régulièrement depuis. La machine qui totalisait alors déjà 26 ans au compteur n’était nullement qualifiée de « young » mais ce superbe coup de crayon du jeune Giugiaro avait déjà sa place sur les couvertures de la respectable littérature dédiée à l’automobile de collection. Et il ne s’en trouvait plus non plus sur les parkings des marchands d’occasion en bordure de nationale.
S'afficher plus jeune que l'on n’est pour séduire et exister. Une règle universelle, pour les personnes comme pour les biens de consommation, que le 21ème siècle n’a pas remise en cause. L’automobile n’y échappe pas. Au tournant des années 2000, les faiseurs de tendances se sont donc empressés de rendre « jeune » ce qui jusqu’alors était le jardin secret de quelques barbus fans de vieux boulons et d’huile minérale. En devenant « young » la collection automobile, passe du statut de vice inavouable à celui de centre d’intérêt affichable voir enviable.
Voici qu’en 2017 l’opportunité d’acquérir une autre Alfa se présente sous la forme d’un coupé Alfetta 2000 GTV de 1981, affichant donc 36 ans. Et régulièrement montré en exemple de « youngtimer » dans divers media spécialisés. Aurions-nous trouvé-là l’élixir de la jeunesse éternelle ?
Des « young » aux « classic », la même diagonale de la belle bagnole ?
En 1999 il n’y avait pas de presse dédiée aux « youngtimers », ni de site internet, ni de concentration spécifique, puisqu’il n’y avait pas de « youngtimers ». Il y avait par contre déjà des gens qui aiment les autos et s’en servent. Et ce qui avait 30 ans révolu était admis comme collection (classique ou oldtimer, vous choisissez...).
Retour en 2018. Le coupé Bertone, la Jaguar E, la berlinette Alpine et la 911 sont toujours à l’honneur et plus que jamais vissées à leur piédestal sur les stands des salons collections ou les podiums d’épreuves classiques. A tel point qu’il devient difficile de faire de la place à leur descendance. Une descendance pourtant plus si jeune que cela avec les 40 ans atteints pour une Alfetta GTV (1977), une Jaguar XJS (1975), une Alpine A310 (1971) ou une Porsche 928 (1977).
C’est qu’il n’est pas facile d’exister face à des aïeules à la gloire quelque peu encombrante ! Tuer le père (symboliquement) serait peut-être la seule façon, mais il n’est pas question d’envoyer à la casse les bataillons de classiques survivantes des différents plans de mise au rebus (balladurette 1994-1995 puis juppette 1995-1996, et suivants).
De fait, plusieurs générations de voitures de collection cohabitent sur le marché actuellement – et pour longtemps ! Car du milieu des années 50 à celui des années 80, nous avons-là 30 ans de productions automobiles désormais fort sympathiques à faire rouler. Des autos éternellement moderne et exploitable simplement de par leur conception très proche (carrosserie monocoque, carburateurs, et … pas d’électronique). Ces générations sont en face de plusieurs générations de collectionneurs : de ceux de la première heure, proclamés à l’aube des années 70, à ceux plus nombreux venus depuis une vingtaine d’année à ce hobby hautement contagieux. Et c’est parce qu’il y a superposition de générations – autos et collectionneurs – qu’il y a ce besoin de nommer et de ranger dans des cases ce qui correspond à chacun. Même si dans le fond la diagonale de la belle bagnole restera la clé de voute fédératrice de tout ce petit monde !
Le récent plaidoyer de la FFVE, (voir notre article) même s’il confirme la limite des 30 ans pour l’obtention de la mention collection en carte grise et des avantages liés, ne retire rien à l’ambiguïté qui règne dans les appellations communes. A défaut d’une règle absolue, il conviendrait au moins de suivre celles de la fiscalité, ce qui revient à dire que les vraies « youngtimers » sont celles produites après 1988. La vraie difficulté n’est pas de borner par l’ancienneté mais plutôt par la jeunesse. Comprenez par-là marquer la limite avec la zone doute de « l’occasion » !
Youngtimers, mini cote et maxi-prix, l’élixir prix des vendeurs d’occasion ?
Il ne vous aura pas échappé que le prix de certaines autos « youngtimers » sont déjà en dizaine de milliers d’euro, ce qui n’en fait plus vraiment de simples occasions abordables pour se faire plaisir s’en prendre de risque. En même temps, penser qu’une VW Scirocco s’achète ou s’utilise comme une Porsche 928, c’est prendre un raccourci hâtif. A moins que ce phénomène « youngtimers » ne soit l’aubaine pour les vendeurs d’occasions de mettre un mot sur une marchandise qui était jusqu’à alors compliquée à pousser vers le client ? Au passage, celui qui vient avec l’espoir d’un prix bas sur une auto jeune est assuré de repartir avec une vraie classique payée au prix fort. Un prix que ne sont pas toujours prêt à payer les amateurs, comme en témoigne la faible performance commerciale des vendeurs présents à Rétromobile 2018 dans le hall dédié aux « youngtimers ».
En fait la montée rapide des prix sur les autos qui entrent en collection, comme les modèles ci-dessus énumérés, ne fait que traduire la confirmation réelle de leur présence sur le marché de la collection, avec une demande forte en face. Il faut toujours se rappeler que la « consommation nostalgie » est un phénomène générationnel. Ce sont aujourd’hui les 40-50 ans qui arrivent en masse sur le marché de l’automobile de collection à fort pouvoir d’achat. Et ce dont ils rêvent ce sont des autos croisées dans leur jeune âge, donc précisément celles des années 70 et 80. Il est donc normal que la demande s’envole pour ces autos, à un moment où celle pour les autos des années 50 et 60 reste toujours forte car les baby-boomers à la retraite restent le premier réservoir d’achat pour le haut du marché.
Faut-il investir déjà dans les « youngs » de moins de 30 ans ?
Oui, non, et pas dans tout ! Les cycles de vie ne sont pas les mêmes pour toutes les autos. Prenons un modèle de très grande production comme la BMW série 3 qui a passé le cap des 10 millions d’unités en 2015 toutes générations confondues. Il est certain qu’une belle 323i e21 est aujourd’hui une voiture de collection. Sa cote en excellent état à plus de 20 000 Euros permet par ailleurs de restaurer convenablement un modèle fatigué acquis à bas prix. Pour la génération suivante (e30) ce sont également toutes des autos de collections (1982-1991 : voir à ce sujet l’excellent ouvrage « Le guide de toutes les BMW. Volume 1, édité par Auto Forever).
Maintenant au sein de ces très grandes familles, la musique n’est pas la même pour un modèle rare (exemple : 323i, M3, 325i cabriolet…) que pour un modèle très diffusé. Autant il est normal que la cote d’une M3 e30 s’envole, et vers les 50 000 € pour une autos en excellent état et au nominal de ses prestations, autant une simple 316 ou 320i ne sera jamais une auto très cotée. Comprenons par-là que seuls des exemplaires combinant couleurs / options rares, état d’origine exceptionnel, pourront prétendre à un bonus de prix de vente bien au-delà du seuil des 10 000 Euro.
Lorsque l’on regarde des modèles de plus faible production comme la Maserati 4200 Coupé (10 700 ex.) ou l’Aston Martin DB7 (8 938 ex.), ce sont des autos qui sont déjà recherchées par les collectionneurs car elles ont fini de perdre de la valeur (ce ne sont plus des « occasions ») et elles commencent à en reprendre pour remonter naturellement vers la barre des 50 000 Euros, puis à plus long terme bien au-delà.
Bien entendu nous sommes sur des rapports de production de 1 à 10 minimum par rapport à des modèles de grande série. Une simple Jaguar XK8 pourtant pas si éloignée en prestations ne joue pas dans la même cour avec 90 064 exemplaires produits, elle sera toujours une auto courante aussi sympathique soit-elle. Il en va de même pour les Porsche 911 post-993 dont les volumes ont plus que doublé (175 164 type 996, à comparer à 68 029 type 993 ou 63 762 type 964).
Pour finir à un autre extrême de l’échelle automobile, si l’on prend des Citroën ZX ou Peugeot 306, elles ne seront jamais des autos cotées (sauf les plus rares versions sportives comme la ZX 16v ou la 306 S16) car elles ne seront jamais rares en bon état. A noter que même aujourd’hui, une Peugeot 304 berline ou une Citroën GS en bon état se trouvent à moins de 10 000 €. Et leurs ancêtres populaires d’avant-guerre pour à peine plus. Et c’est tant mieux car il est finalement normal que même en collection une auto abordable « de son vivant » le reste !
Le vocable de « youngtimers » serait-il finalement un simple néologisme pour qualifier une auto de collection ? En y regardant de près, nombre de modèles dits « youngtimers » sont déjà de plein pied dans le marché de la collection, aussi bien par leur âge (30 ans révolus) que par la forte demande dont ils font l’objet par les générations nées dans les années 70 et 80. Mais si cet engouement suit les traces des autos plus anciennes (50-60) pour des raisons démographiques semblables, il faut regarder les années 90 et suivantes avec un prisme plus raisonnable. Le rapport à la rareté n’est plus le même dans un monde où la production de masse touche aussi bien les modèles de marques premiums que ceux de marques de luxe. A ce jeu, toutes les autos désirables des années 90 et 2000 ne feront pas pour autant de brillants collectors. Plus que jamais, achetez avec votre cœur, et surtout faites des km avec ces autos taillées pour en avaler 200 000 sans tracas majeur. Vous serez au moins récompensés par un coût d’utilisation raisonnable voir inférieur à celui d’une auto moderne, et par le plaisir d’utilisation procuré par le décalage de génération.
Vers la fin de rareté automobile ? Ou pourquoi les youngtimers ne coteront pas autant que les classics ?
Ce qui fait la forte cote actuelle des modèles de années 1950 à 1970, c’est le rapport de rareté entre la production historique de ces modèles et la population née dans les mêmes tranches.
Dans la décennie 50-60, il est produit 4.2 voitures pour 1000 habitants (et encore, cette production est majoritairement destinée à l’Amérique du Nord et à l’Europe). Ce rapport s’établit à 6 dans les années 60, puis 8 dans les années 70 puis 9 dans les années 80 et 90.
En comparant le taux de croissance de la population mondiale avec celui de la production automobile, on constate que cette dernière après avoir été en rattrapage fort de la demande (croissance supérieure à 50% entre 1950 et 1970) est depuis les années 80 en stabilisation pour s’aligner sur la croissance de la population. Et cette fois-ci ce sont les nouvelles économies, Chine en avant, qui absorbent les gros volumes.
Quel impact cela a-t-il sur la demande future de voitures de collection ? Pour faire simple, les générations d’après 1980 ne sont plus du tout dans le même rapport à la rareté de la chose automobile que celles d’avant ! Et tous les types d’autos ont vu leur production se massifier. Voir à ce sujet notre analyse sur la production des marques de luxe.
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Philippe (jeudi, 12 avril 2018 14:46)
Bonjour,
Article fort intéressant. Merci.
Il serait aussi important de mentionner un point très important sur le dernier paragraphe au niveau de la rareté automobile.
Quand l'on prend par exemple des Alfa Roméo ou BMW ou autres Mercedes 126 & 124 & 107 qui ont été produites en masse, peu d'entre elles aujourd'hui sont en belles états. Et celles sont qui ont été entretenues avec amour au fil des années malgré un kilométrage élevé, sont recherchées et leur prix sont élevés. Il suffit de voir le marché européen.
Trouver une Mercedes W126 ou 124 avec moins de 200.000 kms relève du graal ! Les gens achètent un état, plus qu'un kilométrage !
lucien hertmanni (mardi, 11 septembre 2018 11:43)
Vous parlez de grande série pour la JAGUAR XK8 ? J'ai un cabriolet XK8 en état quasi concours , si vous faites aujour d'hui une recherche sur le Bon Coin avec une sélection : -de 20 000e/France , vous en trouvez une vingtaine......La même sélection avec une Porsche Boxter :373 !!!! Sachant que la XK8 reprend les cotes de la Type E même si elle n'atteindra jamais sa côte , je pense qu'elle est promise à un bel avenir .......
Jérôme (jeudi, 29 novembre 2018 15:17)
Les Mercedes Type 123; 124 et 126 seront de futurs collectors mais uniquement les modèles coupe ou cabriolet. Mais effectivement elles sont difficiles à trouver en bon état. Un beau C123 ou C126 SEC est magnifique. Un cabriolet 124 sera de plus en plus recherché. Et pareil pour les beaux SL R129. Mercedes aura toujours une aura énorme dans le monde de la collection mais il faut à mon sens privilégier les coupe ou les cabriolets. Les modèles suivants et plus modernes n’ont plus la même qualité et ont trop d’electronique ce qui risque d’affaiblir leur pouvoir d’attraction et de collection...
Nicolas Mondy (mercredi, 23 décembre 2020 13:30)
Je pense effectivement que ce terme, même si pratique dans l'utilisation, recense aujourd'hui trop de modèles. En tout cas, une fourchette temporelle trop large.
Egalement étrange que le terme d'"oldtimers" à contrario, ne soit utilisé quasi exclusivement qu'outre-Rhin.
Nicolas Mondy (mercredi, 23 décembre 2020 13:43)
Très difficile de présager de l'avenir de la demande automobile, aussi bien en "ancienne", qu'en "jeune ancienne" je trouve.
Pour reprendre l'exemple des la gamme moyenne Mb des 90's mentionné plus haut, même si effectivement, trouver un modèle en très bel état devient de plus en plus difficile, l'engouement, qui s'était manifesté ces dernières années se tasse réèllement depuis 1-2 ans. Au moment d'écrire ce message et en pleine période d'incertitude et de contexte difficile, notamment dans l'automobile, les valeurs stagnent (129, 124 coupé ou cab) etc. A titre personnel, je doute fortement que les jeunes générations, plutôt axés "technologie" prennent la relève ou s'intéressent suffisamment à ces objets de passion "d'un autre temps" malheuresement et à mon humble avis.
Nicolas Mondy (mercredi, 23 décembre 2020 13:45)
Très bon article.
Geraud (jeudi, 30 juin 2022 23:44)
je regrette, une belle XK8 cabriolet en racing green n'est pas une auto courante, il y a qu'à voir comment les gens se retournent en la voyant et les commentaires admiratifs spontanées...
le coupe peut-être, et encore...